Il agressait sexuellement les Innus au nom de Dieu
Le père Joveneau promettait l’enfer aux enfants qui ne comblaient pas ses besoins
UNAMEN SHIPU | De nouvelles victimes se manifestent pour la première fois après avoir été agressées par Alexis Joveneau, un père oblat qui continue de hanter les Innus de la Basse-Côte-Nord 25 ans après sa mort. Le Journal a recueilli ces nouveaux témoignages troublants dans les communautés d’Unamen Shipu et de Pakuashipi, où ce missionnaire qu’on surnommait « Dieu » et qui se prenait pour Jésus a volé les Autochtones en plus de les agresser sexuellement, physiquement et psychologiquement pendant 39 ans.
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Ces nouveaux témoignages sont à ce point accablants que les Oblats du Québec ont tenu à exprimer leurs excuses lorsqu’ils en ont pris connaissance, comme le révélait Le Journal hier.
Pierrette Mestenapéo est l’une de ces victimes. Cette femme de 59 ans déteste regarder par sa fenêtre, qui donne sur la croix blanche sous laquelle a été enterré le père Alexis Joveneau, qui l’a agressée sexuellement plusieurs fois dans son enfance dans les années 1970.
Chaque fois qu’elle voit cette croix, l’haleine de vieille cigarette du père Joveneau, son rire fort et gras et les agressions répétées dont elle a été victime lui reviennent à l’esprit.
La première fois, elle avait 12 ans. L’agression s’est produite au confessionnal, l’un des endroits préférés du religieux pour abuser de ses jeunes proies.
Pendant sa confession, le père Joveneau jouait avec les bretelles de son soutien-gorge, glissait sa main dans son chandail en lui flattant le ventre, caressait ses seins, touchait le bas de son dos jusqu’à ses fesses et l’embrassait avec son haleine de tabac et de lendemain de veille.
Le prêtre lui demandait de répéter le Je vous salue Marie en français alors qu’elle ne le connaissait pas. Il lui apprenait tout en lui caressant le corps et en lui chuchotant les mots à l’oreille. Il lui disait qu’il agissait au nom de Dieu.
« Il était méchant avec les enfants, dit-elle. Le cubicule n’était pas grand, il y avait une chaise et un banc, mais il ne voulait pas que je m’agenouille. Il me disait : “Viens dans les bras de Jésus.” Et les agressions commençaient. »
Des dizaines d’histoires
Une histoire comme celle-ci, il y en a eu des dizaines pendant le règne d’Alexis Joveneau à Unamen Shipu et Pakuashipi, à plus ou moins 500 km à l’est de Sept-Îles. Le Journal en relate d’ailleurs plusieurs autres aujourd’hui et demain.
Le père provincial des Oblats, Luc Tardif, le qualifie maintenant de « peste » avec ses gestes de « dégoûtants », comme le rapportait Le Journal hier.
En 1953, certains Innus étaient encore nomades. Ils ne parlaient pas bien français et n’étaient pas instruits.
C’est dans ce contexte que le père Joveneau est arrivé et s’est mis à parler en innu, une langue qu’il avait apprise pendant l’année qu’il avait passée au Labrador.
En plus d’être un Blanc qui parlait innu, Alexis Joveneau avait de la prestance. Il s’est immédiatement attiré le respect de la communauté.
Lorsqu’un Innu avait besoin de traduire un document ou de parler à un pilote d’avion pour envoyer des enfants malades se faire soigner, le père Joveneau servait de traducteur. Il remplissait les demandes d’aide sociale ou de pension de vieillesse. C’est ainsi qu’il s’est rendu indispensable.
Dans son enfance en Belgique, celui qui se faisait appeler « lama pétulant » chez les scouts, était reconnu comme un leader.
Dans ces communautés pauvres, les seuls accès sont par motoneige, avion ou bateau. Malgré les difficultés, Joveneau a tout de même réussi à construire côte à côte une église, un presbytère, une salle communautaire et une école, appelée ironiquement... Saint-Alexis.
Tous se rappellent qu’il avait un grand charisme... et des bonbons dans son presbytère pour attirer les enfants.
Louise Lalo est allée au presbytère après l’école. Selon elle, il y avait toujours un enfant sur les genoux du curé pendant que les autres couraient autour de la table de cuisine en s’empiffrant.
Obsédé par l’enfer
À une époque, il avait pris sous son aile 12 hommes du village surnommés les apôtres. Lors des messes, ceux-ci se plaçaient derrière ou à genoux devant leur « Jésus ». Il était constamment accompagné de ceux-ci lorsqu’il se promenait dans le village.
Chaque dimanche dans ses sermons, Alexis Joveneau parlait du paradis, du démon et de l’enfer. Selon plusieurs Autochtones, il en était obsédé.
Il avait réussi à créer une véritable peur de l’enfer. Les gens n’avaient qu’une chose en tête : aller au paradis. Il menaçait de l’enfer quiconque lui désobéirait.
« Il avait placé deux affiches de la hauteur de la porte à l’entrée de l’église. Une pour aller au paradis et une autre pour aller en enfer. Nous devions suivre la bonne affiche », se souvient Charles Api Bellefleur.
Siméon Malleck se rappelle très bien le jour de sa première communion, à l’âge de huit ans, alors qu’il a été agressé par le curé. Ce dernier lui a montré à faire une fellation et lui a promis l’enfer si ce n’était pas à son goût. « J’étais terrifié », raconte-t-il.
Impossible à dénoncer
Le père Joveneau exerçait un pouvoir important sur ces communautés qui étaient pratiquement sans contact avec le reste du Québec en raison de l’éloignement, mais aussi de la langue.
Il devenait donc très difficile pour les Innus de le dénoncer.
Marguerite Mestenapéo, la sœur de Pierrette, a tenté une fois de parler des agressions sexuelles qu’elle avait subies. Elle se souvient de la réponse de sa mère.
« Elle m’a dit de ne pas dire ça, parce que le prêtre, c’était un Dieu et qu’il était appelé par Dieu », a dit Mme Mestenapéo.
Elle n’en a jamais reparlé jusqu’au passage du Journal le mois dernier.
« La pointe de l’iceberg »
Sœur Armande Dumas a bien connu le père Joveneau pour avoir travaillé avec lui à Unamen Shipu.
Elle a refusé d’accorder une entrevue au Journal lors de notre passage, mais a néanmoins dit que les révélations faites par les membres de la communauté « ne sont que la pointe de l’iceberg ».
« Pour l’ensemble de ces victimes, je souhaite qu’elles reçoivent toute l’aide nécessaire pour qu’elles se libèrent de ce poids du silence qu’elles ont trop longtemps porté, et qu’elles avancent vers une guérison personnelle et communautaire... Que justice et vérité soient faites », a-t-elle par la suite écrit dans une lettre envoyée au Journal.
VOICI L'INTÉGRALITÉ DE LA LETTRE D'ARMANDE DUMAS
Magalie Lapointe
Journal de Montréal
Magalie, nous avons eu l’occasion de nous rencontrer lors de ton séjour à La Romaine en février dernier et je t’ai déjà exposé mon point de vue sur une éventuelle entrevue.
Je maintiens cette position, mais je crois qu’à l’intérieur de notre brève conversation tu as sans doute pu percevoir que je vis des sentiments tant d’indignation que de tristesse et de compassion devant les témoignages présentés aux séances de la Commission sur les femmes autochtones assassinées et disparues. À ceux-ci, divers autres s’y ajoutent et s’y mêlent, encore difficiles à mettre au clair et à formuler.
Ces sentiments rejoignent tout d’abord les personnes qui ont courageusement pris la parole pour exprimer leur douleur d’avoir souffert de la part du Père Joveneau des comportements inacceptables tout autant que les autres victimes possibles qui ont gardé le silence depuis tant d’années. Pour l’ensemble de ces victimes, je souhaite qu’elles reçoivent toute l’aide nécessaire pour qu’elles se libèrent de ce poids du silence qu’elles ont trop longtemps porté et qu’elles avancent vers une guérison personnelle et communautaire... Que justice et vérité soient faites !
Enfin, ces émotions exprimées plus haut rejoignent également le reste de la communauté d’Unamen Shipu profondément ébranlée et toujours sous le choc des révélations entendues sur ce prêtre, leur premier curé résident, ayant partagé leurs peines et leurs joies, leurs combats et leurs espoirs, pendant près de quarante ans. Les interrogations sont multiples et parfois font mal et aussi elles soulèvent un grand nombre de remises en question tant chez les individus que chez les familles, ainsi que chez la communauté dans son ensemble.
Ces douleurs et ces larmes, ces interrogations et ces remises en question, je les fais miennes. Avec les divers intervenants pouvant aider, je m’engage au meilleur de mes capacités à écouter, accompagner, soutenir, tendre la main aux uns et aux autres dans cette recherche de vérité, de guérison et de vie meilleure.
Armande Dumas
La Romaine, 8 mars 2018
Siméon Malleck a déjà pensé aller déterrer le corps du père Joveneau, tellement sa rage est grande contre l’homme qui l’a agressé le jour de sa première communion.
« Sa place n’est pas dans notre cimetière. Il a fait trop de mal à mon peuple innu. Il m’a fait trop de mal à moi », rage Siméon Malleck.
Le Journal a parcouru plus de 650 km à motoneige pendant deux semaines le mois dernierpour aller à la rencontre de victimes comme lui, qui navaient jamais raconté leur histoire auparavant. Plusieurs ne parlent qu’en innu et un interprète a été nécessaire pour révéler ces histoires qui ont toujours un impact sur leur vie.
Siméon Malleck n’hésite pas à dire que le père Joveneau a gâché son enfance et une bonne partie de sa vie d’adulte, jusqu’au moment où il a renoué avec la nature et les traditions innues.
Communion
En 1989, il avait très hâte de faire sa première communion. Un moment qu’on lui avait présenté comme très important dans sa vie.
Le petit garçon de 8 ans est donc arrivé tôt pour la cérémonie. Il était le premier sur place.
Il a alors décidé de se rendre au presbytère, là où la porte était toujours débarrée. Il voulait aller jaser avec celui que l’on surnommait « Dieu ».
Alexis Joveneau l’a accueilli et lui a montré la direction d’une chambre. L’enfant avait très peur dans cette pièce pourvue d’un fenêtre minuscule où il y avait très peu de lumière.
Plusieurs personnes ont d’ailleurs témoigné avoir été agressées dans cette pièce, que le prêtre appelle son « petit salon » dans les lettres qu’il a écrites à sa nièce (et dont des extraits sont publiés en pages 6 et 7).
Siméon Malleck tremblait. Celui dont il avait tant entendu parler l’a déshabillé, s’est déshabillé à son tour et l’a caressé. L’enfant ne se sentait pas bien. Déterminé à assouvir ses pulsions sexuelles, Alexis Joveneau, qui avait alors 63 ans, a pris la tête du petit garçon et lui a indiqué quoi faire...
« Tout au long de l’agression, il m’a fait des promesses. Il m’a fait peur. Il me disait de bien faire ça. Que sinon, je n’irais pas au paradis. C’est très dur pour un jeune garçon innocent », a révélé, en larmes, l’homme aujourd’hui âgé de 36 ans.
Bois
Siméon Malleck s’est fait agresser deux fois par le père Joveneau, mais ç’a été suffisant pour gâcher sa jeunesse et une partie de sa vie d’adulte. La deuxième fois, c’était en 1991. Il avait 10 ans.
« Ma jeunesse a été volée par lui. Quand j’étais petit, il m’a promis d’aller au ciel. Après l’événement, je n’ai plus jamais fait confiance à personne », confie-t-il.
Lorsqu’il chasse ou qu’il pêche, il est bien. Il sort de sa coquille, dont il est prisonnier depuis 28 ans.
Il préfère croire en la Terre mère qu’en Dieu.
« Je ne pleure pas des larmes de joie, je pleure des larmes de haine. Un homme ne devrait pas pleurer, et lui, il me fait encore pleurer. Je sais qu’il a fait plein de victimes », a conclu Siméon Malleck.
Il a surpris Joveneau et sa nièce en pleine action
Un homme qui a travaillé 20 ans pour le père Joveneau l’a surpris en train d’agresser sexuellement sa nièce.
Charles Api Bellefleur, 69 ans, a été le serviteur du père lorsqu’il était jeune. Il a côtoyé le religieux au quotidien pendant plus de 20 ans.
Un soir de 1981, il a voulu aller le voir. Il a fait le tour du presbytère, qui n’était jamais barré, et est descendu au sous-sol sans le trouver.
Il était sur le point de partir lorsqu’il a entendu la voix de l’homme. Suivant le son grave de celle-ci, il s’est retrouvé devant une scène qu’il n’a jamais oubliée.
« Il était nu et il embrassait le sein de sa nièce, Marie-Christine Joveneau. Je l’ai vu et je ne comprenais pas ce qui se passait. Je n’ai pas parlé et je suis sorti de là complètement démoli, choqué. À partir de cet événement, je n’ai plus jamais prié », révèle l’homme.
Il a essayé de dénoncer le père Joveneau auprès de quelques amis et de sa famille, mais sans succès.
« À l’époque, personne ne me croyait. On me disait que je voulais faire du tort à la religion. Personne ne l’aimait, mais personne ne parlait. Tout le monde avait peur de lui. Il contrôlait tout », ajoute Charles Api Bellefleur.
Le petit salon
M. Bellefleur se rappelle qu’Alexis Joveneau a aménagé en 1981 un « petit salon » que les victimes appellent encore aujourd’hui « la chambre noire ». Il est convaincu que le père a construit cette pièce pour commettre des agressions.
Selon les récits indépendants de M. Bellefleur et de Marie-Christine Joveneau (à lire en pages 6 et 7 ), il a fait ajouter une porte dans le mur de sa chambre pour avoir accès directement à cette pièce sans devoir passer par le corridor.
Cette pièce était très obscure, de là son surnom de chambre noire. Le curé avait même pris soin de placer un meuble dans le corridor devant la porte de cette pièce, afin que le seul accès soit par sa chambre à coucher.